Aux Président(e)s de Groupes de l’Assemblée nationale
Le 31 mars 2016
Madame la Députée,
Monsieur le Député,
Vous allez prochainement examiner le projet de loi « visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs », dite loi travail. Nos organisations demandent au gouvernement le retrait de cette loi. Au-delà du manque de concertation en amont, cette demande est motivée par cinq raisons de fond :
Ce projet de loi marque une rupture dans l’articulation entre les normes, rendant la loi bien plus supplétive qu’impérative, affaiblissant ainsi l’ordre social public, et par voie de conséquence le contrat. Dans un tel contexte, les différents niveaux de négociation collective se verraient désarticulés et perdraient de leur cohérence, au risque de dégrader les droits des salariés et leurs garanties collectives. Ainsi, pour tout ce qui concerne dans un premier temps la durée et l’organisation du travail, ce projet de loi donne la priorité ou l’exclusivité à l’entreprise comme niveau de négociation. Or, c’est au niveau de l’entreprise que la pression, le chantage à l’emploi sont les plus forts sur les salariés pour remettre en cause leurs droits et situations. De même, le référendum pourrait servir à court-circuiter les syndicats représentant une majorité de salariés et risquerait d’accroître encore les tensions dans les entreprises. Cette logique a conduit, dans les pays qui l’ont pratiquée (Espagne et Portugal, notamment), à un effondrement de la négociation collective et à l’augmentation du nombre de salariés non couverts par une convention collective. Une telle logique conduirait la France à perdre sa place internationale qui, aujourd’hui, offre la meilleure couverture conventionnelle aux travailleurs, grâce à l’existence de conventions collectives nationales.
Nombre de dispositions constituent des remises en cause importantes : prévisibilité des congés, heures supplémentaires, médecine du travail, licenciement économique, mise en place de licenciements pour motif personnel, accords de développement ou de préservation de l’emploi, disparition des avantages individuels acquis, taxe d’apprentissage, VAE, etc.
Ce projet de loi, correspond au point 6 des recommandations de la Commission européenne dans son document du 13 mai 2015 sur le programme national de réforme. Il s’inscrit dans une logique économique libérale et dans une politique d’austérité dont on mesure tous les jours les dégâts et les risques d’aggravation de la crise, notamment dans ses conséquences sociales. C’est par la relance et des garanties protectrices renforcées pour les salariés que la situation économique pourra s’améliorer. Ces orientations économiques conduisent de fait à accroître la flexibilité, la précarité, l’insécurité et même le chômage.
Pour les jeunes générations, le signal donné par ce projet de loi est l’accroissement des inégalités, de la précarité et de la pauvreté. C’est aussi une difficulté plus grande à acquérir leur autonomie. Les déclarations du Premier Ministre sur la garantie jeunes, par ailleurs déjà annoncées avant ce projet de loi, sans débloquer les budgets nécessaires, relèvent de l’effet d’annonce.
Pour les femmes, ce projet de loi va aggraver les inégalités professionnelles. Aujourd’hui, la moitié des femmes qui arrêtent de travailler à la naissance d’un enfant connaissent déjà des horaires atypiques (de nuit, le week-end ou le soir). Les remises en cause des 35 heures risquent d’amener des régressions dans l’égalité tant professionnelle que dans la vie personnelle. Alors que les questions de formation et d’entrée dans l’emploi sont essentielles, ce projet vise à des formations répondant aux seuls besoins des entreprises et non pas à l’obtention de formations qualifiantes et reconnues pour des emplois stables et de qualité.
A l’inverse de ce projet de loi, nous sommes porteurs de propositions de droits nouveaux en termes d’emploi, de salaires et pensions, de temps de travail, de protection sociale, de garanties collectives, de conditions de travail, de formation et de droits et libertés syndicales. Des propositions porteuses de progrès social et correspondant à la réalité du travail d’aujourd’hui et de demain. En conséquence, nous vous demandons de rejeter ce projet de loi, et nous restons disponibles pour échanger avec vous.
Veuillez agréer, Madame la Députée, Monsieur le Député, nos salutations distinguées.