Droit de grève, mode d’emploi

Le droit de grève,
mode d’emploi

Le droit de grève est un droit constitutionnel qui « s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » (constitution de 1948 à laquelle renvoit celle de 1958).

Dans le secteur privé, seules quelques dispositions du code du travail, rassemblées à la fin de cet l’article, le réglementent.

Les agents des services publics (qu’ils soient fonctionnaires ou de droit privé) voient leur droit de grève beaucoup plus encadré.

Le présent article a pour objet de rappeler les règles essentielles qui régissent ce droit, aussi bien dans le secteur privé que dans les services publics.

QU’EST-CE QUE LA GRÈVE ?

Dans un arrêt en date du 2 février 2006, la Chambre sociale de la Cour de cassation l’a défini comme « la cessation collective, concertée et totale du travail en vue de présenter à l’employeur des revendications professionnelles »

Pour être « légale », la grève doit donc réunir les 3 conditions suivantes :

  • Un arrêt total du travail
  • Un arrêt collectif du travail par l’ensemble des salariés grévistes.
  • Des revendications professionnelles doivent être exprimée.

 À noter : l’exercice du droit de grève ne doit pas être mentionné sur le bulletin de paie du gréviste.

I) Droit de grève dans le secteur privé

Qui peut faire grève ?

Tout salarié d’une entreprise, quelle que soit la nature de son contrat (CDI, CDD, Intérim(1), apprenti…) peut utiliser son droit de grève.

(1) NB : En matière d’Intérim, il est à noter qu’une entreprise de travail intérimaire ne peut mettre ou maintenir (s’ils étaient déjà présents) des intérimaires au travail chez un utilisateur en cas de grève

La grève est un droit individuel mais qui s’exerce collectivement.

Pour être qualifié de grève, le mouvement doit être suivi par au moins 2 salariés.

Toutefois, un salarié peut faire grève seul :

  • s’il accompagne un appel à la grève lancé au niveau national
  • ou s’il est le seul salarié de l’entreprise.

Procédure

Ces règles valent pour tout le secteur privé sauf les établissements, organismes, entreprises privés chargées d’un service public.

Dans le secteur privé, un mouvement de grève peut être déclenché à tout moment. Les salariés qui veulent utiliser leur droit de grève n’ont pas à respecter de préavis,

Il est d’ailleurs impossible qu’une convention collective ou qu’un accord collectif (et encore moins une décision d’un employeur), en instaure un. Seul un texte de loi peut avoir pour effet de limiter ou de réglementer pour les salariés l’exercice de leur droit de grève. Seule la loi peut créer un délai de préavis s’imposant à eux.

L’appel d’un syndicat à faire grève n’est pas nécessaire.

Une grève est légale même si elle n’a pas été précédée d’un avertissement ou d’une tentative de conciliation avec l’employeur. Les salariés ne sont donc pas tenus de respecter un délai de prévenance avant d’entamer la grève.

L’employeur doit cependant connaître les revendications professionnelles des salariés au moment du déclenchement de la grève. Il est donc souhaitable de présenter des revendications avant le, ou au moment du, déclenchement de la grève.

Les salariés ne sont pas tenus d’attendre le refus de leur employeur de satisfaire à leurs revendications pour entamer la grève.

Le salarié gréviste n’est pas tenu d’informer son employeur de son intention d’exercer son droit de grève.

Durée de la grève

Il n’existe aucune durée minimum, ni maximum.

La grève peut

  • être de courte durée (1 heure ou même moins)
  • ou bien se poursuivre pendant une longue période (plusieurs jours ou semaines).

Elle peut être répétée. Par exemple, un arrêt total et concerté du travail d’1/4 d’heure toutes les heures pendant 10 jours relève d’un exercice normal du droit de grève.

Conséquences de la grève pour le salarié

La grève suspend le contrat de travail mais ne le rompt pas, sauf en cas de faute lourde du salarié (participation personnelle et active à des actes illégaux).

Aucun salarié ne peut être sanctionné, ni faire l’objet d’une discrimination (par exemple en matière d’augmentation de salaire) pour avoir fait grève. Aucun salarié ne peut être licencié pour avoir fait grève.

L’employeur retient sur la paie du salarié une part du salaire et de ses éventuels accessoires (indemnité de déplacement, par exemple). La retenue sur la rémunération doit être proportionnelle à la durée de l’arrêt de travail. Toute retenue supérieure est interdite.

Toutefois, dans certains cas, l’employeur doit payer son salaire au gréviste (si la grève a pour origine un manquement grave et délibéré de l’employeur à ses obligations ou si un accord de fin de grève l’a prévu.

Exceptions au droit commun : entreprises, organismes et établissements privés chargés de la gestion d’un service public.

Ces établissements sont soumis à des règles similaires à celles régissant la fonction publique. Il s’agit notamment (liste non exhaustive) :

  • des établissements de santé privée exerçant des missions de service publics ;
  • des organismes de sécurité Sociale ;
  • des entreprises de transports terrestres réguliers de voyageurs et des entreprises de transport aérien.

Voir la seconde partie

II) Droit de grève dans la fonction publique et dans les établissements privés chargés d’un service public

Qui peut faire grève ?

Le droit de grève est reconnu à tous les agents publics sauf :

  • Les fonctionnaires actifs de la police nationale
  • Les magistrats judiciaires
  • Les militaires
  • Les personnels des transmissions du ministère de l’Intérieur
  • Les fonctionnaires des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire (gardiens de prison)

Comme pour le secteur privé, aucun agent public ne peut être sanctionné, ni faire l’objet d’une discrimination (par exemple en matière d’augmentation de salaire) pour avoir fait grève. Aucun agent public ne peut être licencié ou révoqué pour avoir fait grève.

Obligation d’un préavis

Contrairement au secteur privé, la grève doit être précédée d’un préavis émanant d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au niveau national, dans la catégorie professionnelle ou dans l’administration ou le service concerné.

À NOTER : les personnels des communes de 10 000 habitants et moins ne sont pas concernés par l’obligation de déposer un préavis.

Le préavis précise :

  • Les motifs du recours à la grève et son champ géographique,
  • L’heure du début et la durée limitée ou non de la grève envisagée.

Il doit parvenir 5 jours francs avant le déclenchement de la grève à l’autorité hiérarchique ou à la direction de l’administration concernée.

Pendant la durée du préavis, les organisations syndicales et l’administration employeur sont tenues de négocier.

Si cette obligation de préavis n’est pas respectée, l’administration peut prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre des agents grévistes.

Service Minimum

Certains agents publics doivent assurer un service minimum (par exemple certains services de la navigation aérienne, les agents hospitaliers, météo France, les services de transports réguliers de voyageurs, etc.). Dans la plupart des cas, ces agents sont contraints de déclarer leur intention d’être gréviste au moins 48 heures à l’avance. Voir avec votre syndicat.

Dans la fonction publique hospitalière et dans les établissements de santé privés chargés d’un service public, c’est le directeur d’établissement qui a compétence pour organiser le service minimum (assignation des personnels).

Cas particulier : Service minimum d’accueil (SMA) dans les établissements scolaires du premier degré (cette loi ne s’applique pas dans le second degré)

La loi sur le service minimum d’accueil dans les établissements scolaires impose la mise en place d’un service d’accueil dès lors qu’il y a plus de 25 % d’enseignants en grève dans l’école. Les grévistes doivent se déclarer 48 heures à l’avance, afin de permettre la mise en place du dispositif.

Les mairies doivent déployer du personnel qualifié afin d’assurer la garde des enfants lors des grèves des fonctionnaires de l’éducation nationale.

L’État, et non le maire, endosse la responsabilité administrative et pénale de l’accueil.

Dans la pratique, à peine un tiers des communes mettent en place cet accueil parce qu’elles ne disposent pas des personnels qualifiés nécessaires surtout s’ils sont en grève. De plus, il n’existe pas de possibilité de réquisition du personnel des collectivités territoriales par les autorités territoriales. En l’absence de texte les autorisant, pour obtenir la réquisition des salariés grévistes, elles ne peuvent que se retourner vers le préfet, seul compétent.

Aucune commune n’a été sanctionnée pour ne pas l’avoir mis en place.

Le préfet peut saisir le juge administratif pour obliger la commune à mettre en place le service minimum. Mais, jusqu’ici, les tribunaux n’ont pas donné suite : parce qu’ils estiment ne pas avoir les moyens de contraindre les communes ou parce qu’ils constatent l’impossibilité matérielle des communes d’assurer un service minimum.

Réquisition

En cas de grève « portant gravement atteinte à la continuité du service public ou aux besoins de la population », certains agents peuvent être réquisitionnés.

Cette réquisition ne peut être décidée que par les ministres, les préfets ou les directeurs des structures répondant à un besoin essentiel (pour l’essentiel les établissements de santé). Comme cela a déjà été souligné, les élus des collectivités territoriales n’ont pas le pouvoir de procéder à la réquisition de personnels.

Elle doit être motivée.

Elle peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.

Effets sur la rémunération

Fonction publique d’État

L’absence de service fait donne lieu à une retenue égale à 1/30me de la rémunération par jour de grève, même si la durée de la grève est inférieure à la journée complète.

Fonction Publique Territoriale et Hospitalière

L’absence de service fait donne lieu à une retenue proportionnelle à la durée de la grève, en comparant cette durée aux obligations de service auxquelles l’agent était soumis pendant la période de grève. Ainsi, la retenue est égale à :

  • 1/30è pour une journée d’absence,
  • 1/60è pour une demi-journée d’absence,
  • 1/151,67è par heure d’absence.

Décompte des jours de grève (tous les versants de la fonction publique)

En cas d’absence pour fait de grève durant plusieurs jours consécutifs, le décompte des retenues s’élève à autant de trentièmes qu’il y a de jours compris entre le premier et le dernier jour de grève de l’agent. La retenue à opérer en cas de grève doit porter y compris sur les jours où l’agent n’a aucun service à accomplir. Ainsi, un agent qui s’associe à un mouvement de grève doit se voir retenir sur sa rémunération autant de trentièmes qu’il y a de jours calendaires compris dans sa période de grève (week-end, jours non travaillés et jours fériés compris).

Établissements privés chargés d’un service public

Les règles diffèrent selon les établissements. Certains se voient appliquer les règles ci-dessus (les organismes de Sécurité Sociale se voient appliquer les règles relatives à la FP territoriale par exemple), d’autre non (les établissements de santé privés chargés d’un service public se voient appliquer le droit commun en matière de décompte des jours et retenues sur salaire par exemple).

Voir votre syndicat.


Dispositions du Code du travail encadrant le droit de grève

L’article L. 2511-1 protège les salariés grévistes

Art. L. 2511-1 L’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié.

Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L. 1132-2, notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux.

Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit. — [Anc. art. L. 521-1.]

L’article L. 1132-2 renforce cette protection en interdisant les sanctions

Art. L. 1132-2 Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire mentionnée à l’article L. 1132-1 en raison de l’exercice normal du droit de grève.

Les articles L. 11242-6 et L. 1251-10 interdisent le recours à des salariés temporaires pour remplacer les grévistes

Art. L. 1242-6 (extraits) Outre les cas prévus à l’article L. 1242-5, il est interdit de conclure un contrat de travail à durée déterminée :

  1. Pour remplacer un salarié dont le contrat de travail est suspendu à la suite d’un conflit collectif de travail…

Art. L. 1251-10 Outre les cas prévus à l’article L. 1251-9, il est interdit de recourir au travail temporaire :

  1. Pour remplacer un salarié dont le contrat de travail est suspendu à la suite d’un conflit collectif de travail ; …

L’article L1331-2 interdit les sanctions pécuniaires, quelle qu’en soit la raison (donc du fait de la participation à une grève)

Art. L.1331-2 : Les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite.

L’article L1334-1 détermine les sanctions APPLICABLES 0 L4EMPLOYEUR en cas d’application de sanctions pécuniaires

Art. L1334-1 Le fait d’infliger une amende ou une sanction pécuniaire en méconnaissance des dispositions de l’article L. 1331-2 est puni d’une amende de 3 750 euros.

Le titre I, chapitre II du Code du travail précise les dispositions particulières de l’exercice du droit de grève dans les services publics

Article L2512-1

Les dispositions du présent chapitre s’appliquent :

  1. 1° Aux personnels de l’État, des régions, des départements et des communes comptant plus de 10 000 habitants ;
  2. 2° Aux personnels des entreprises, des organismes et des établissements publics ou privés lorsque ces entreprises, organismes et établissements sont chargés de la gestion d’un service public.

Article L2512-2

Lorsque les personnels mentionnés à l’article L. 2512-1 exercent le droit de grève, la cessation concertée du travail est précédée d’un préavis.

Le préavis émane d’une organisation syndicale représentative au niveau national, dans la catégorie professionnelle ou dans l’entreprise, l’organisme ou le service intéressé.

Il précise les motifs du recours à la grève.

Le préavis doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève à l’autorité hiérarchique ou à la direction de l’établissement, de l’entreprise ou de l’organisme intéressé. Il mentionne le champ géographique et l’heure du début ainsi que la durée limitée ou non, de la grève envisagée.

Pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de négocier.

Article L2512-3

En cas de cessation concertée de travail des personnels mentionnés à l’article L. 2512-1, l’heure de cessation et celle de reprise du travail ne peuvent être différentes pour les diverses catégories ou pour les divers membres du personnel intéressé.

Sont interdits les arrêts de travail affectant par échelonnement successif ou par roulement concerté les divers secteurs ou catégories professionnelles d’un même établissement ou service ou les différents établissements ou services d’une même entreprise ou d’un même organisme.

Article L2512-4

L’inobservation des dispositions du présent chapitre entraîne l’application des sanctions prévues par les statuts ou par les règles concernant les personnels intéressés.

Les sanctions ne peuvent être prononcées qu’après que les intéressés ont été mis à même de présenter des observations sur les faits qui leur sont reprochés et d’avoir accès au dossier les concernant.

La révocation et la rétrogradation ne peuvent être prononcées qu’en conformité avec la procédure disciplinaire normalement applicable.

Lorsque la révocation est prononcée à ce titre, elle ne peut l’être avec perte des droits à la retraite.

UDFO49 – novembre 2019